Dec 19, 2006

Presse quotidienne locale : décrypter et donner du sens local à l'info nationale et internationale

D'abord, il me faut mettre cartes sur table, histoire de vous donner le point de départ de ma tentative d'analyse sur la place de l'info nationale et internationale dans la presse locale.

A- L'expertise de la presse quotidienne locale c'est : l'information locale. Ce que j'appelle, avec les gens du marketing, son avantage produit. C'est aussi, semble-t-il, le point de vue des lecteurs à en croire les études que j'ai lues, faites réaliser, les focus groupes auxquels j'ai assistés et les analyses du trafic des sites de la presse locale américaine auxquelles j'ai eu accès. Bien entendu, ce n'est que le reflet de mon expérience pas le résultat d'un sondage.

B- La presse quotidienne locale -- PAPIER -- n'est plus un produit de masse. Elle ne peut pas être tout pour tout le monde. C'est un produit qui plaît d'abord au plus de 50 ans. La moyenne d'âge de ses lecteurs est là pour en témoigner. En tout cas dans les pays occidentaux.

C- Elle ne surprend pas en ce qui concerne les grands titres nationaux ou internationaux. Rien de ce qu'elle publie dans ces rubriques n'est, en général, inconnu du lecteur le lendemain matin. Ce n'est pas un phénomène nouveau. Mais c'est un phénomène qui s'amplifie avec la progression de la pénétration d'internet. Même si le web touche beaucoup moins, pour le moment, les tranches d'âges consommatrices de la presse quotidienne locale.


Une fois ses bases posées, voici donc quelques éléments de réponse :

1- Supprimer ou pas les pages d'info nationale et internationale ?

D'un point de vue journalistique, et je m'excuse d'être un peu dur, mais très peu de ce que je lis dans la presse locale occidentale, que je parcours et dont je comprends la langue, ne me semble ajouter -- pour le moment -- quoi que ce soit au journal télévisé et au flash d'info radio. Donc sur un plan journalistique, on pourrait sans doute supprimer ces pages demain. À moins d'en changer le traitement.

D'un point de vue marketing et comme le souligne, entre autre, Dominique Bannwarth, l'info nationale et internationale dans la presse quotidienne locale à une valeur "statutaire". Elle contribue à son "image de marque" nous dit Lezink. La disparition totale et abrupte de ce type d'info provoquerait, sans aucun doute, des frustrations chez certains lecteurs. "Ca les rassure qu'elles soient là", a probablement raison de dire Âne-au-nimous. Et comme il le dit plus loin dans son post, la question est : "Si elles n'étaient pas là, comment réagiraient les lecteurs ?"

On entre alors dans une équation business : combien de revenus en moins (lecteurs + annonceurs) versus combien de réduction de coûts. La suppression de ces infos nationales et internationales ne tuerait sans doute pas un quotidien locale… pour autant elle ne permettrait pas non plus, dans la majorité des journaux, une réduction de coûts significative. Peu de chance de dégager le moindre bénéfice financier de cette opération. Je me trompe ?

Aussi, comme chaque lecteur compte, surtout aujourd'hui. Comme l'info nationale et internationale, si elle n'est pas un avantage produit, n'est pas "un inconvénient produit". Comme la réduction des coûts ne serait sans doute pas spectaculaire? Pourquoi prendre le risque de perdre des lecteurs ? A priori, autant garder ces pages même si on se contente du service minimum : dépêches d'agences.


2- Ajouter de la plus value ou pas ?

Sur un plan strictement business, l'effort financier ne se justifie qu'à partir du moment où il rapporte. Hors, rien ne prouve aujourd'hui que l'amélioration du contenu national et international, dans la presse locale, permettrait l'augmentation des ventes et des recettes publicitaires. Les expériences en cours, comme par exemple celle du Star Tribune aux USA, ne sont, pour l'instant (mais peut-être est-il encore trop tôt pour tirer des conclusions), pas très concluantes.

D'un point de vue journalistique, pas de doute, l'apport de plus value est non seulement souhaitable mais elle est indispensable. Informer et donner du sens sont des rôles fondamentaux du journalisme.

Quant à avoir ces pages d'info, autant qu'elles soient les plus utiles possibles aux lecteurs. Autant qu'elles apportent des éclairages supplémentaires qui complétent l'info télé ou radio. Il me semble important, à partir du moment où l'on reste à coût égal, de jouer la qualité sur la quantité. De ne pas se contenter du service minimum. Pour, comme le dit Dominique, "mieux comprendre le monde dans lequel on vit".


3- Comment ajouter de la plus value ?

Comment ? Tout d'abord et vous le dites très bien :
- Donner du contexte
- Décrypter, expliquer les notions et les personnages clés de l'information
- Analyser
- Mettre en perspective
- Surprendre par l'angle, par le visuel

C'est le sens, par exemple, de la page Décryptage dans la Nouvelle République Dimanche. J'aime aussi beaucoup la page "en cinq minutes" du Journal de Montréal, qui est une explication sous forme d'infographie.

Mais surtout en donnant de la proximité, pas seulement géographique, mais aussi affective et thématique (centres d'intérêt). Comme le dit Philippe Gammaire : "On peut parler du monde entier aux lecteurs d'un quotidien régional, dès lors qu'il y a une résonnance géographique, affective ou thématique."

Et pour le coup, la presse locale a ici un rôle fondamental à jouer auprès de ses lecteurs. Un rôle que, pour le moment, personne ne jouera à sa place. Celui de donner du sens local à un sujet national ou international. Pour comme l'écrit Lezink, aider le lecteurs à "comprendre et décrypter l'impact de ce qu'il se passe au niveau national et international sur une région". "Du global au local", nous dit Dominique.

Décrypter, mettre en perspective, etc. C'est bien, mais ça ne suffit pas. Il faut le faire selon les principes de proximité dont nous parle Phil. Car la proximité, en particulier géographique mais pas seulement, c'est la grande force de la presse locale. C'est là où réside son expertise. C'est là où les lecteurs l'attendent. Si elle ne le fait pas, qui leur apportera cet éclairage.

Reste que ce type de traitement de l'information n'est pas naturel aux rédactions de la presse quotidienne locale. En tout cas dans celles que j'ai traversées. Je ne parle, bien entendu, pas de la France en particulier. C'est un traitement magazine. C'est un travail sur les angles. C'est de la réflexion sur de la mise en scène. C'est du journalisme visuel. On peut réussir ces rubriques "à condition que les moyens mis en œuvre respectent la promesse", comme insiste Dominique. Et ces moyens sont avant tout à concentrer sur la formation des équipes. À condition aussi que les cadres des entreprises de presse soient convaincus que l'explication dans la proximité c'est la seule façon qui leur est offerte de se démarquer de la concurrence.

Une proximité qu'internet ne fait qu'augmenter. Proximité avec le lecteur qui ne demande qu'à rentrer dans la conversation de l'information.

Merci à tous pour vos propositions, idées et réflexions. Et n'hésitez pas à réagir aux miennes… si vous avez le courage d'aller jusqu'au bout.

2 comments:

  1. Dire que l'on va supprimer les dépêches d'agence dans les journaux locaux est une bonne façon de lancer le débat sur le sujet. Mais ce n'est pas réaliste.

    Il est vrai, par contre, que la façon dont est traitée l'actu nationale (c'est à dire qu'elle n'est pas vraiment traitée) n'apporte aucun plus.
    Donc oui : pédagogie, proximité, utilité... mais ce sont des fondamentaux.
    Supprimer, non, faire des choix, oui.
    Le fait de libérer des forces sur le traitement des dépêches en passant de 4 pages en moyenne comme c'est le cas aujourd'hui, à une ou deux pages de brèves (façon 24h dans les régions du Parisien/Aujourd'hui en France), pourrait permettre de dégager du staff afin d'alimenter ce type de contenu de proximité.

    Je pense notamment à une vraie rubrique conso/arnaque, où les journalistes enquêtent pour répondre à des problèmes vécus par les lecteurs. J'avais lancé ce principe dans l'édition que je co-dirigeais, il y a deux ans, et la formule avait répondu à une vraie attente des lecteurs. L'utilité et la proximité passe aussi par là.

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  2. @Benoît,

    Ce n'est sans doute pas clair, mais je ne propose pas la suppression des dépêches d'agence. Ca c'est que j'appelle "le service minimum".
    J'en propose par contre, et là on se rejoint, la forte réduction pour, comme tu le dis dégager des ressources pour faire autre chose.
    L'autre chose c'est de l'explicatif et de la mise en perspective locale… c'est aussi renforcer les équipes locales et expérimenter sur le net.

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